Il n'y a pas si longtemps, j'ai reçu un e-mail d'un développeur énergique et talentueux qui s'attaquait à un projet logiciel ambitieux. Il m'a demandé si j'avais un conseil à lui donner.

 

Tous les souvenirs ont commencé à me revenir en masse. Les rêveries. Sortir du lit au beau milieu de la nuit parce qu'une idée ne peut pas attendre. Des mois de travail minutieux qui poussent ce bébé à ne plus vaciller et à marcher seul. Tout ça pour un public enthousiaste. Sauf que...

 

Le cycle après le cycle

J'avais peut-être rédigé une demi-douzaine de réponses à son e-mail. J'ai admiré son enthousiasme et compris où son esprit en était. Mais je savais aussi ce qui l'attendait probablement après le cycle de développement ardu: un autre cycle de turbulence, une série d'affrontements entre les prévisions et les tristes réalités.

 

Qu'est ce qui n'a pas marché?

C'est une question dangereuse que nous nous posons en tant que développeurs. "Dangereuse" parce qu'elle présuppose que nous avons fait quelque chose de travers. Il est tout à fait possible que ce que tu as conçu soit assez bon, peut-être même brillant. Le problème n'a peut-être rien à voir avec la qualité de ton travail, mais plutôt avec tes critères de réussite.

 

Alors, comment un développeur peut-il mesurer précisément le succès d'un projet solo? J'aurai aimé avoir une réponse concrète à te donner. Par contre, je peux te donner quelques conseils pour ce qui est de comment ne pas le mesurer:

 

Astuce 1: Méfies-toi des sirènes des plateformes sociales

Ah, mais elles nous leurrent avec la promesse d'une acceptation et d'une consommation de masse. Nous réalisons rarement leur capacité à berner nos esprits. Il est possible que tu puisses passer des mois sur un projet, que tu le partages sur Facebook avec la vigueur et l'excitation d'un chien qui tient un jouet à mordiller, et que tu observes le nombre de "J'aime" monter en flèche jusqu'à... 3. L'un des "j'aime" vient de ta mère, un autre provient d'une page que tu as conçue pour promouvoir ton projet, et l'autre d'un tapotement hasardeux sur un téléphone portable.

C'est le même effet de refroidissement que te font les photos de parcs d'attractions abandonnés. Tu essaies d'imaginer des fous rires et une excitation effrénée, et tu as du mal à accepter ce qui se trouve juste sous tes yeux.

Pendant ce temps, le nouveau et très profond statut de ton pote disant "J'aime les raviolis!" vient d'obtenir 23 likes et 16 commentaires. La popularité et la substance sont deux choses différentes, et nous devons simplement faire avec.

 

Astuce 2: La réaction apathique n'a rien de personnel (elle pourrait même ne pas être apathique)

Tu es déjà conscient de ça, mais il est bon de s'en rappeler. La plupart des gens n'ont aucune notion de ce qu'il faut pour réussir ce que tu as accompli. Ils ne réalisent pas que tu as construit à toi seul quelque chose qui rivaliserait avec les efforts de toute une équipe. Tu ne peux pas, et tu ne vas pas, les entraîner à s'y intéresser sincèrement.

 

Les applications qui agitent le monde relèvent généralement de deux catégories: celles qui aident les utilisateurs à se promouvoir eux-mêmes et celles qui nécessitent peu de réflexion. Si ton projet nécessite un investissement mental supérieur à celui de Candy Crush Saga, voici la dure réalité: tu vas te retrouver avec beaucoup de restes de nourriture lors de ta soirée de lancement.

 

Astuce 3: Réfléchis à deux fois avant de solliciter les commentaires de tes confrères

Dans le film "Minuit à Paris", l'écrivain en herbe Gil demande à Ernest Hemingway de lire son roman et de donner son opinion.

- Hemingway: Mon opinion est que je le déteste.
- Gil: Ah bon? Mais vous ne l'avez même pas lu.
- Hemingway: Si c'est mauvais, je le détesterai parce que je déteste quand c'est mal écrit, et si c'est bon, je serai jaloux et je le détesterai d'autant plus. Tu ne veux pas l'opinion d'un autre écrivain. Les écrivains sont compétitifs.

Ne néglige pas la profondeur de cet échange. Ceci s'applique aussi aux développeurs.

 

Astuce 4: Qu'on le veuille ou non, tu es un artiste

Si tu te dévoues corps et âme à la réalisation de projets solo parce que tu aimes le défi créatif, alors tu es un artiste. Si tu le fais parce que tu essaies de résoudre un problème, c'est que tu es probablement un hybride artiste-ingénieur. Si tu le fais strictement pour l'argent, tu as sûrement abandonné cet article depuis longtemps, donc peu importe comment je t'appelle.

 

Tout comme les peintres, les écrivains, les décorateurs et les chefs gastronomes du monde entier, nous espérons secrètement que le public sera élevé et inspiré par nos créations.

 

Mais il y a une différence clé. Si quelqu'un n'est pas inspiré par une peinture, il serait quand même capable d'apprécier l'effort individuel. Avec un logiciel, il n'y a pas ce luxe. Peu importe si tu es le Picasso du monde logiciel, ton appli est très nulle par rapport à Office 365 ou Google Maps ou Skyrim, peu importe la flotte de ressources requises par ce dernier.

 

Donc... Faut-il continuer à construire ton projet même si personne n'y vient ?

Oui. Parce qu'en tant qu'artistes, nous sommes enrichis par le processus global quel que soit le résultat final. Aussi banal que cela puisse paraître, nous avons ce sentiment d'accomplissement et la fierté de savoir à quel point il a fallu s'autodiscipliner pour poursuivre le projet jusqu'au bout. Nous avons stimulé notre intellect, nous avons appris ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, nous avons acquis une expérience pratique. Le prochain projet, qu'il soit personnel ou professionnel, en récoltera les fruits.

 

[Traduit d'une contribution par Darren Mart]